N'oubliez pas votre alicament!

Un bon équilibre nutritionnel est essentiel pour être en forme. Mais depuis quelques années, la médecine s’en mêle. Les rayons alimentaires ont vu apparaître de nouveaux produits : les alicaments, à la frontière entre nourriture et médicament.


Miraculeuses. Des potions magiques apparaissent aujourd’hui dans les rayons des supermarchés. Yaourts qui rendent beau et font baisser le taux de cholestérol, œufs qui entretiennent le système cardiovasculaire, boissons qui débarrassent de la fatigue… Tous ces aliments, surnommés aujourd'hui alicaments pour leurs soi-disant "vertus" médicales, promettent de nous soigner sans que l’on ne s’en rende compte, simplement en mangeant ou en buvant.
Pourtant, Véronique Théret, diététicienne au service nutrition du CHU de Tours, estime que peu de ces produits soignent effectivement des pathologies : "Il n’y a aucune étude scientifique publiée qui prouve véritablement l’efficacité des alicaments. Les seuls produits vraiment actifs dont on parle dans les congrès professionnels sont certains yaourts (Danacol) et certaines margarines (Pro-Activ et Ilo) contre les méfaits du cholestérol.
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Seuls trois produits seraient donc concernés. Et il est difficile d'en obtenir un véritable effet : "La dose efficace pour ces margarines est de 30g par jour, ce qui représente la moitié d’une ration journalière en lipides. Mais il n’y a pas de notice d’emploi vendue avec les alicaments. Les gens prennent un peu de ces margarines au petit déjeuner, puis c’est terminé, ils n’ont pas les 30g par jour prescrits. Et même s’ils le savent, ils vont consommer du fromage, de la charcuterie à côté, et leur alimentation sera trop riche en graisses.
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Business sanitaire
D’ailleurs, la plupart des alicaments n’ont pas été développés par des médecins. Ils sont le fait d'industriels, qui voient dans ces vertus thérapeutiques un intérêt purement commercial. Le
géant Danone n’a pas manqué de s’engouffrer dans la brèche. Le groupe s’est fixé comme mission officielle d’"apporter la santé par l’alimentation au plus grand nombre". Pour ce faire, il s’est recentré sur les produits laitiers frais, les biscuits et les boissons, a développé son propre institut de recherche, et a racheté le 9 juillet 2007 l’entreprise néerlandaise Numico, spécialisée dans les alicaments et produits pour bébés. Le pôle nutrition clinique de Danone, à lui seul, représentait déjà près de 800 millions d’euros de chiffre d’affaire en 2007, soit 5% de l’ensemble des ventes du groupe. Et même si les seules études scientifiques sont le fait des industriels eux-mêmes, le public a mordu à l'hameçon. On estime que tous les ans, la consommation de ces produits transformés, modifiés et améliorés, toutes marques confondues, augmente de 20% en France.
Et les marques ne reculent devant rien afin de faire la promotion de leurs remèdes miracles. En décembre 2005, un assureur (Maaf) avait été jusqu’à annoncer qu'il réduirait la prime de complémentaire santé à ses adhérents qui auraient consommé des produits anti-cholestérol d’une marque donnée (Pro-Activ, fabriqué par Unilever). Dénoncé par l'association de consommateurs
UFC-Que Choisir, et assigné en justice, l’assureur avait finalement obtenu gain de cause. Selon le jugement, la publicité de la Maaf n’est "pas de nature à induire en erreur" sur ces produits, dont les effets seraient "clairement précisés". Cet accord d'un genre nouveau entre assurances et agroalimentaire témoigne bien des dérives possibles entre santé et marketing.
Pourtant, les qualités attribuées aux alicaments sont étudiées à la loupe – si ce n’est au microscope. Impossible de vendre un placebo en prétendant qu’il lutte contre la maladie : une réglementation européenne est entrée en vigueur le 1er juillet 2007, permettant de faire le tri entre allégations vérifiées et mensongères. En France, le marché des alicaments est réglementé à la fois par la
Direction générale de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et par l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA). Ces organismes sont habilités à reconnaître les "allégations santé", c'est-à-dire qu’ils effectuent des contrôles avant la mise sur le marché et autorisent – ou non – les industriels à afficher quels sont les effets bénéfiques de certains produits, et les pathologies éventuelles auxquelles ils s’attaquent. Autrefois, ces contrôles s’effectuaient à posteriori.

Aliments ou médicaments ?
À l'origine, les principes actifs des alicaments sont destinés à soigner. Selon Véronique Théret, ils ne devraient donc pas être vendus en grandes surfaces mais en pharmacie, et devraient être prescrits par des professionnels. Les margarines contre les méfaits du cholestérol par exemple, peuvent avoir des effets néfastes sur les personnes qui ne sont pas malades.
"Le cholestérol est une molécule vitale, qui joue un rôle dans la croissance." Femmes enceintes et enfants sont donc les premiers exposés à des risques, s'ils consomment ces margarines. Alors, les alicaments, produits sans intérêt ? Pas forcément. Dans les hôpitaux et en pharmacie sont prescrites des marques plus "sérieuses", réservés à des pathologies bien précises.
Véronique Théret utilise notamment dans son service de nutrition des "boissons, des crèmes, des pots de yaourts, des soupes, des jus de fruits enrichis en protéines et en calories, pour traiter des patients qui sont en état de dénutrition sévère, ou encore dans les traitements contre le cancer." Ces produits sont contrôlés par des laboratoires, "pas forcément pharmaceutiques mais de nutrition. À côté, tout ce que l’on peut trouver dans les grandes surfaces n’a pas grand intérêt…"
Pourtant, à l’échelle mondiale les alicaments ne sont justement pas dénués d’intérêt. Dans leur livre intitulé Plantes transgéniques, faits et enjeux, André Gallais et Agnès Ricroch, chercheurs au CNRS, révèlent que des recherches sont en cours sur des produits très répandus en Afrique et en Asie. Ils évoquent ainsi des "bananes vaccinant contre l’hépatite B, un melon efficace contre l’hypertension, un riz apportant l’insuline nécessaire aux diabétiques". Transformer des produits faciles d’accès dans des pays où le besoin de soins est particulièrement grand, voilà une piste intéressante. Pour trouver dans l'avenir un intérêt réel à ces aliments d'un genre nouveau.



Un alicament : késako ?

L’expression est issue d’une contraction entre les mots "aliment" et "médicament" (on parle aussi parfois de "médicaliments"). Elle désigne les aliments censés faire du bien, améliorer la forme, possédant des vertus nutritionnelles particulières et étant capable d'agir sur une fonction précise de l'organisme. Ce terme a été inventé par l’industrie agro-alimentaire, qui, pour fabriquer les alicaments, peut utiliser quatre procédés distincts :
- Augmenter la concentration d’un composant naturellement présent, comme dans les aliments enrichis en calcium, en vitamines ou en fibres.
- Incorporer un composant étranger à l’aliment, comme les margarines aux phytostérols, qui font baisser le "mauvais cholestérol".
- Enlever un composant aux effets indésirables. Par exemple, le lait dans lequel on réduit la quantité de lactose afin de le rendre plus digeste.
- Modifier le mode d’élevage. Faire consommer aux poules des huiles de poissons ou des dérivés d’algues leur permet de pondre des œufs aux oméga 3, "bons pour nos artères".




Dossier réalisé pour le magazine-école Innova
- IUT de Tours 2008 -
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