Grenoble : L'école de journalisme peut-elle perdre sa reconnaissance ?

"Voici novembre, et cette année, c'est CPNEJ. Cette commission paritaire de l'emploi des journalistes fixe les règles d'attribution de la reconnaissance des écoles de journalisme. Enjeu majeur : seules 12 écoles en France sont pour l'instant "reconnues par la profession", ce qui permet une insertion facilitée sur le marché de l'emploi, le raccourcissement du statut de stagiaire (période d'un an pour les anciens d'écoles reconnues, de deux pour les autres, durant laquelle on a une carte de presse "stagiaire" et non définitive)... La reconnaissance permet aussi aux écoles de bénéficier du soutien financier et d'une visibilité accrue auprès des médias de la région.
Autant dire que cet événement triennal est important. Très important. Eh bien, cette année encore, Grenoble est dans le rouge. Cela a un intérêt en soi, car Grenoble est dans le rouge à chaque fois. Cette fois, c'est une question d'école : le deuxième critère pour la reconnaissance est l'indépendance de la formation vis-à-vis des autres filières (c'est ce qui empêche le master journalisme de Sciences Po d'accéder à la reconnaissance). A Grenoble, le master de journalisme existe au sein de l'UFR de communication. La reconnaissance a été attribuée à l'école sous réserve qu'une procédure serait engagée pour rendre la formation indépendante. Ce qui est le cas, avec le projet de création de l'Ecole de journalisme Rhône-Alpes.
Le projet gelé par la présidence de l'université
La procédure est longue. Acceptation par l'UFR, par le CA, j'en passe et en bout de course, par le Ministère... Et retour à l'ordre du jour du CA de l'Université pour entériner les statuts. Et durant cette longue procédure, à Grenoble, une nouvelle présidence a été élue à la tête de l'Université Stendhal. Qui a gelé le projet en refusant d'inscrire les statuts de la nouvelle école à l'ordre du jour du CA... Deux semaines avant le début de procédure de réattribution de la reconnaissance par la CPNEJ.
Voilà pour les faits. Le reste se résume en mobilisation d'étudiants, en prises de position du corps enseignant et des professionnels associés, en accusations mutuelles de manipulation, en clarifications, etc. Mon but n'est pas de dénoncer des façons de faire, il y a longtemps que des problèmes de personnes grèvent de façon récurrente le fonctionnement de "notre" école (j'en suis sorti cette année pour ma part).
D'un point de vue de mes ambitions professionnelles, du confort matériel et intellectuel que cela m'apporte, de la gratification amenée par le statut d'école reconnue, je ne peux que déplorer cet état de fait. Et m'alarmer de la prise de position de deux professeurs contre la création d'une école. Deux enseignants qui m'ont donné des cours. D'ailleurs, tout le monde s'en émeut, les étudiants semblent prêts à crier au traître, aidés par d'autres membres du corps enseignant plus convaincus par le projet.
D'un point de vue de mon implication au sein de l'association des anciens étudiants du master journalisme (autre critère relevé pour la reconnaissance), je ne peux qu'apporter mon soutien à l'école, à l'équipe dirigeante, aux étudiants. Je ne peux que proposer d'écrire des lettres, passer des coups de téléphone, m'impliquer autant que possible pour sauver la situation. Et mal juger ceux qui s'y opposent, avec comme principe l'avenir de l'école.
Pourtant, j'en étais là de mes réflexions quand une question m'est venue. L'école de Grenoble mérite-t-elle cette reconnaissance ? Alors que tous les deux ans, les mêmes crises reviennent. C'est vrai, cette année le contexte est particulier, car une école de Lyon a postulé à la CPNEJ. On sait parfaitement que le leitmotiv de la CPNEJ est qu'il y ait la domination d'une école par région. Plus, c'est la mort assurée à court terme pour l'une des deux (excepté en région parisienne, où l'afflux massif d'étudiants et l'alternance entre deux publiques et deux privées permet de faire tenir le système).
Concilier monde professionnel et recherche
Mais d'un point de vue strictement objectif, du point de vue du journalisme, des futurs étudiants... Qu'en est-il ? Je me suis souvenu après m'être posé cette question d'une discussion avec l'un des professeurs qui s'opposent aujourd'hui à la création de cette école. Je me souviens qu'il s'opposait au système - pourtant très "méritocratique" - des écoles par souci de concilier monde professionnel et recherche. Les écoles de journalisme sont certes très orientées vers la pratique. Nous avons de bons professionnels chez les journalistes associés, de bonnes formations techniques, et l'insertion professionnel au sortir des formations est excellente vu le métier et les conditions de l'emploi.
Mais quelle réflexion sur la profession ? Comment justifier que les cours théoriques sont les plus désertés par les étudiants. Certaines pratiques font parfois tiquer : apprendre le contenu des journaux par coeur (comme ça, bêtement, juste apprendre tout, sans recul, sans retour) parce qu'un journaliste est avant tout "une éponge à infos", mais ne pas lire de livres autour.

Même moi (ô présomption) qui souhaite m'engager dans une thèse, et donc dans une démarche de recherche à long terme, je ne me suis pas passionné pour le "mémoire" qu'on nous donnait à faire sur deux ans. Parce qu'on n'est pas poussé dans ce sens, parce qu'on est surchargé de travail "technique", parce que finalement on est sûr d'avoir notre année dans tous les cas. Alors quelle peut être la crainte du personnel non-journaliste ? Donc chercheur, avant tout... Eh bien, probablement la fin de la recherche à moyen terme. Parce qu'être plus proche des critères de la commission paritaire signifie laisser plus de champs, plus d'ouverture aux médias régionaux, aux professionnels, et moins à l'Education nationale.
On peut comprendre leur point de vue. Plus de professionnels, moins de recherche, moins de réflexion. Dans un contexte où on demande le plus d'efficacité, où l'utilitarisme est envisagé comme principe de jaugeage pour tout. Principe auquel la recherche ne peut souscrire, puisqu'elle ne peut y satisfaire. Et d'ailleurs, il faut correspondre aux critères de la commission, certes, mais il nous faut aussi satisfaire aux critères de l'Education nationale. Nous ne sommes pas le CFJ-Paris, ou l'ESJ-Lille. Nous obtenons à la fin de notre cursus un master d'Etat. Et dans les critères d'attribution, il y a le mémoire, censé symboliser la partie recherche. Pour l'instant.
C'est donc un point de vue respectable, compréhensible, et même acceptable. D'où le doute qui m'assaille. Comment se placer ? Et surtout, de mon point de vue, qui ne suis pas un chercheur, faut-il entrer dans une logique de résistance contre le système entier ? Entendons-nous bien : la chute de l'école de Grenoble changera-t-elle quelque chose au fonctionnement de la CPNEJ ? Les membres de la commission, les médias, vont passer à une autre école, comme on tourne une page, et mettre toutes les turpitudes de l'ICM sur le compte des conflits de personnes, de l'incapacité à gérer la formation, à apparaître unis... Ce qui est partiellement vrai. Mais partiellement seulement, car il y a un vrai problème de fond derrière cette reconnaissance. Malgré tout, à quoi cela va-t-il servir ? Grenoble ne sera plus, et Lyon aura une école reconnue. Avec une direction qui aura l'habileté de ne p as commettre les mêmes détours que l'ICM. Qui sera moins traversée par... le doute. Mais le doute est-il compatible avec l'ego ?"
Autant dire que cet événement triennal est important. Très important. Eh bien, cette année encore, Grenoble est dans le rouge. Cela a un intérêt en soi, car Grenoble est dans le rouge à chaque fois. Cette fois, c'est une question d'école : le deuxième critère pour la reconnaissance est l'indépendance de la formation vis-à-vis des autres filières (c'est ce qui empêche le master journalisme de Sciences Po d'accéder à la reconnaissance). A Grenoble, le master de journalisme existe au sein de l'UFR de communication. La reconnaissance a été attribuée à l'école sous réserve qu'une procédure serait engagée pour rendre la formation indépendante. Ce qui est le cas, avec le projet de création de l'Ecole de journalisme Rhône-Alpes.
Le projet gelé par la présidence de l'université
La procédure est longue. Acceptation par l'UFR, par le CA, j'en passe et en bout de course, par le Ministère... Et retour à l'ordre du jour du CA de l'Université pour entériner les statuts. Et durant cette longue procédure, à Grenoble, une nouvelle présidence a été élue à la tête de l'Université Stendhal. Qui a gelé le projet en refusant d'inscrire les statuts de la nouvelle école à l'ordre du jour du CA... Deux semaines avant le début de procédure de réattribution de la reconnaissance par la CPNEJ.
Voilà pour les faits. Le reste se résume en mobilisation d'étudiants, en prises de position du corps enseignant et des professionnels associés, en accusations mutuelles de manipulation, en clarifications, etc. Mon but n'est pas de dénoncer des façons de faire, il y a longtemps que des problèmes de personnes grèvent de façon récurrente le fonctionnement de "notre" école (j'en suis sorti cette année pour ma part).
D'un point de vue de mes ambitions professionnelles, du confort matériel et intellectuel que cela m'apporte, de la gratification amenée par le statut d'école reconnue, je ne peux que déplorer cet état de fait. Et m'alarmer de la prise de position de deux professeurs contre la création d'une école. Deux enseignants qui m'ont donné des cours. D'ailleurs, tout le monde s'en émeut, les étudiants semblent prêts à crier au traître, aidés par d'autres membres du corps enseignant plus convaincus par le projet.
D'un point de vue de mon implication au sein de l'association des anciens étudiants du master journalisme (autre critère relevé pour la reconnaissance), je ne peux qu'apporter mon soutien à l'école, à l'équipe dirigeante, aux étudiants. Je ne peux que proposer d'écrire des lettres, passer des coups de téléphone, m'impliquer autant que possible pour sauver la situation. Et mal juger ceux qui s'y opposent, avec comme principe l'avenir de l'école.
Pourtant, j'en étais là de mes réflexions quand une question m'est venue. L'école de Grenoble mérite-t-elle cette reconnaissance ? Alors que tous les deux ans, les mêmes crises reviennent. C'est vrai, cette année le contexte est particulier, car une école de Lyon a postulé à la CPNEJ. On sait parfaitement que le leitmotiv de la CPNEJ est qu'il y ait la domination d'une école par région. Plus, c'est la mort assurée à court terme pour l'une des deux (excepté en région parisienne, où l'afflux massif d'étudiants et l'alternance entre deux publiques et deux privées permet de faire tenir le système).
Concilier monde professionnel et recherche
Mais d'un point de vue strictement objectif, du point de vue du journalisme, des futurs étudiants... Qu'en est-il ? Je me suis souvenu après m'être posé cette question d'une discussion avec l'un des professeurs qui s'opposent aujourd'hui à la création de cette école. Je me souviens qu'il s'opposait au système - pourtant très "méritocratique" - des écoles par souci de concilier monde professionnel et recherche. Les écoles de journalisme sont certes très orientées vers la pratique. Nous avons de bons professionnels chez les journalistes associés, de bonnes formations techniques, et l'insertion professionnel au sortir des formations est excellente vu le métier et les conditions de l'emploi.
Mais quelle réflexion sur la profession ? Comment justifier que les cours théoriques sont les plus désertés par les étudiants. Certaines pratiques font parfois tiquer : apprendre le contenu des journaux par coeur (comme ça, bêtement, juste apprendre tout, sans recul, sans retour) parce qu'un journaliste est avant tout "une éponge à infos", mais ne pas lire de livres autour.

Même moi (ô présomption) qui souhaite m'engager dans une thèse, et donc dans une démarche de recherche à long terme, je ne me suis pas passionné pour le "mémoire" qu'on nous donnait à faire sur deux ans. Parce qu'on n'est pas poussé dans ce sens, parce qu'on est surchargé de travail "technique", parce que finalement on est sûr d'avoir notre année dans tous les cas. Alors quelle peut être la crainte du personnel non-journaliste ? Donc chercheur, avant tout... Eh bien, probablement la fin de la recherche à moyen terme. Parce qu'être plus proche des critères de la commission paritaire signifie laisser plus de champs, plus d'ouverture aux médias régionaux, aux professionnels, et moins à l'Education nationale.
On peut comprendre leur point de vue. Plus de professionnels, moins de recherche, moins de réflexion. Dans un contexte où on demande le plus d'efficacité, où l'utilitarisme est envisagé comme principe de jaugeage pour tout. Principe auquel la recherche ne peut souscrire, puisqu'elle ne peut y satisfaire. Et d'ailleurs, il faut correspondre aux critères de la commission, certes, mais il nous faut aussi satisfaire aux critères de l'Education nationale. Nous ne sommes pas le CFJ-Paris, ou l'ESJ-Lille. Nous obtenons à la fin de notre cursus un master d'Etat. Et dans les critères d'attribution, il y a le mémoire, censé symboliser la partie recherche. Pour l'instant.
C'est donc un point de vue respectable, compréhensible, et même acceptable. D'où le doute qui m'assaille. Comment se placer ? Et surtout, de mon point de vue, qui ne suis pas un chercheur, faut-il entrer dans une logique de résistance contre le système entier ? Entendons-nous bien : la chute de l'école de Grenoble changera-t-elle quelque chose au fonctionnement de la CPNEJ ? Les membres de la commission, les médias, vont passer à une autre école, comme on tourne une page, et mettre toutes les turpitudes de l'ICM sur le compte des conflits de personnes, de l'incapacité à gérer la formation, à apparaître unis... Ce qui est partiellement vrai. Mais partiellement seulement, car il y a un vrai problème de fond derrière cette reconnaissance. Malgré tout, à quoi cela va-t-il servir ? Grenoble ne sera plus, et Lyon aura une école reconnue. Avec une direction qui aura l'habileté de ne p as commettre les mêmes détours que l'ICM. Qui sera moins traversée par... le doute. Mais le doute est-il compatible avec l'ego ?"
Antoine Duvauchelle
Photos : Université Stendhal / Service communication et Grenews.com.
Photos : Université Stendhal / Service communication et Grenews.com.