Rec, jusqu'au bout de l'horreur... et du cliché journalistique

"Pablo, t'as tout filmé ?! Dis moi que t'as tout eu, putain !"
Salué par la critique et primé aux festivals de Sitges et Gerardmer, Rec met en scène Angéla Vidal, une jeune journaliste de la télévision locale. Dans son émission, intitulée Pendant que vous dormez, elle relate le quotidien de ceux qui travaillent la nuit. Un soir, accompagnée de Pablo, son caméraman, elle est en immersion à la caserne des pompiers. La nuit semble calme, jusqu'au coup de fil d'une vieille dame qui réclame du secours. Le tandem suit les pompiers et découvre en arrivant sur place des voisins très inquiets. Angéla est ravie : son reportage devrait enfin sortir de la routine... Elle n'imagine pas à quel point.
Le film tourne rapidement à l'horreur. Tous les occupants de l'immeuble sont mis en quarantaine à l'intérieur, dans un total manque d'information. Une panique générale se déclare, tandis que la caméra, portée à l'épaule, devient le seul objet-témoin du drame.
Sur allociné.fr, les réalisateurs Jaume Balaguero et Paco Plaza expliquent qu'ils ont "décidé de raconter cette histoire comme un reportage télévisé en direct, de tourner en "live" avec l'horreur qui survient en temps réel, sans possibilité de stopper le récit. L'idée était de laisser l'action se développer devant les yeux du spectateur. Comme si tout ce qui se passait à l'image était vraiment en train de se dérouler, avec le minimum d'élipses temporelles."
Le rôle du cameraman, Pablo, est donc prépondérant. Si l'on ne voit jamais son visage, c'est pourtant à travers ses yeux et à travers l'objectif de sa caméra que se déroule toute l'action. Les quelques zooms incontrôlés, la balance des blancs parfois imprécise, ou bien encore la mise au point qui s'ajuste maladroitement, ne font que renforcer l'idée de faiblesse du journaliste et son humanité.
Le reportage avant tout
"Fuir, se cacher. Mais ne jamais cesser de filmer." Telle est pourtant la devise du film. Un cliché à l'image des deux jeunes journalistes, qui se laissent porter par les événements, dans une jouissance macabre. Et tant pis pour le voyeurisme : "Je vous ai dit de couper votre caméra ! Un peu de respect, tout de même !"
Une remarque réaliste, car la spontanéité d'un scoop vécu en direct procure aux journalistes une excitation certaine. Nombreux sont les journalistes dont le premier réflexe est de se réjouir face à un événement de grande ampleur - "Chouette, ça va me faire un bel article !" - et ce même dans des circonstances dramatiques. On se souvient ainsi de David Pujadas, lors des attentats du World Trade Center en 2001, qui avait laissé échapper un "Génial !" en voyant un nouvel avion percuter la deuxième tour, alors que des caméras continuaient de tourner.
En trame de fond, ce film offre donc une critique du journalisme avide de sensations fortes, dont les professionnels sont blasés, aiment les informations racoleuses, que plus rien ne choque et qui donneraient tout - quitte à mettre leur propre vie en danger - pour obtenir LE scoop de leur carrière.
Lectures parallèles :
- Une interview de Philippe Buffon, reporter-cameraman, publiée sur boncap.com, guide internet de l'image : " Ce qui nous pousse à nous mettre dans des situations invraisemblable c’est la recherche du scoop, du document inédit, de l’image forte et cela n’est réalisable que grâce à l'adrénaline et uniquement l'adrénaline."
- Une réflexion de Françoise Tristani-Potteaux, enseignante à l'Institut français de presse (IFP - Paris) sur les Chercheurs et médias : de la divergence des pratiques au choc des éthiques.